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Textes des terminales
 

Quelqu'un m'a dit... Carla Bruni

 

Les Métamorphoses Option théâtre 2003-2004 Métamorphose de Satan

 Parmi les purs esprits survint l’esprit immonde
Quand Satan, haletant d’avoir tourné le monde,
Se glissa dans la presse : aussitôt l’œil divin
De tant d’esprits bénins tria l’esprit malin.
« D’où viens-tu, faux Satan ? Que viens-tu faire ici ? »
Lors le trompeur trompé d’assuré devint blême,
L’enchanteur se trouva désenchanté lui-même.
Son front se sillonna, ses cheveux hérissés,
Ses yeux flambants dessous les sourcils refroncés ;
Le crêpe blanchissant qui les cheveux lui coeuvre
Se change en même peau que porte la couleuvre
Qu’on appelle coiffée, ou bien en telle peau
Que le serpent mué dépouille au temps nouveau ;
La bouche devint pâle : un changement étrange
Lui donna front de diable et ôta celui d’ange.
L’ordure le flétrit, tout au long se répand.
La tête se décoiffe et se change en serpent ;
La pennache luisant et les plumes si belles
Dont il contrefaisait les angéliques ailes,
Tout ce blanc se ternit : ces ailes peu à peu
Noires, se vont tachant de cent marques de feu
En dragon africain ; lors sa peau mouchetée
Comme un ventre d’aspic se trouve marquetée.
Il tomba sur la voûte où son corps s’allongeant,
De diverses couleurs et venin se chargeant,
Le ventre jaunissant et noirâtre la queue,
Pour un ange trompeur mit un serpent en veue.
La parole lui faut, le front de l’effronté
Ne pouvait supporter la sainte majesté.

 Agrippa d’Aubigné Les Tragiques Livre V Les Fers

 

Option théâtre : Les métamorphoses : métamorphoses de l’homme

Credo

Je crois en l’homme, cette ordure.
Je crois en l’homme, ce fumier,
Ce sable mouvant, cette eau morte.

Je crois en l’homme, ce tordu,
Cette vessie de vanité.
Je crois en l’homme, cette pommade,
Ce grelot, cette plume au vent,
Ce boute-feu, ce fouille-merde.
Je crois en l’homme, ce lèche-sang.

Malgré tout ce qu’il a pu faire
De mortel et d’irréparable.
Je crois en lui
Pour la sûreté de sa main,
Pour son goût de la liberté,
Pour le jeu de sa fantaisie.

 Pour son vertige devant l’étoile.
Je crois en lui
Pour le sel de son amitié,
Pour l’eau de ses yeux, pour son rire,
Pour son élan et ses faiblesses.

 Je crois à tout jamais en lui
Pour une main qui s’est tendue
Pour un regard qui s’est offert.
Et puis surtout et avant tout
Pour le simple accueil d’un berger.

 Lucien Jacques Florilège poétique

Option théâtre : Les Métamorphoses. Métamorphoses de l’amour.

La Machine infernale Jean Cocteau

 Le Sphinx

… Et maintenant je vais te donner un spectacle. Je vais te montrer ce qui se passerait à cette place, Œdipe, si tu étais n’importe quel joli garçon de Thèbes et si tu n’avais eu le privilège de me plaire.

Œdipe

Je sais ce que valent vos amabilités.

Le Sphinx

Abandonne-toi. N’essaye pas de te crisper, de résister. Abandonne-toi. Si tu résistes, tu ne réussiras qu’à rendre ma tâche plus délicate et je risque de te faire du mal.

Œdipe

Je résisterai. !

Le Sphinx

Inutile de fermer les yeux, de détourner la tête. Car ce n’est ni par le chant, ni par le regard que j’opère. Mais, plus adroit qu’un aveugle, plus rapide que le filet des gladiateurs, plus subtil que la foudre, plus raide qu’un cocher, plus lourd qu’une vache, plus sage qu’un élève tirant la langue sur des chiffres, plus gréé, plus voilé, plus ancré, plus bercé qu’un navire, plus incorruptible qu’un juge, plus vorace que les insectes, plus sanguinaire que les oiseaux, plus nocturne qu’un œuf, plus ingénieux que les bourreaux d’Asie, plus fourbe que le cœur, plus désinvolte qu’une main qui triche, plus fatal que les astres, plus attentif que le serpent qui humecte sa proie de salive ; je sécrète, je tire de moi, je lâche, je dévide, je déroule, j’enroule de telle sorte qu’il me suffira de vouloir ces noeuds pour les faire et d’y penser pour les tendre ou pour les détendre ; si mince qu’il t’échappe, si souple que tu t’imagineras être victime de quelque poison, si dur qu’une maladresse de ma part t’amputerait, si tendu qu’un archet obtiendrait entre nous une plainte céleste ; bouclé comme la mer, la colonne, la rose, musclé comme la pieuvre, machiné comme les décors du rêve, invisible surtout, invisible et majestueux comme la circulation du sang des statues, un fil qui te ligote avec la volubilité des arabesques folles du miel qui tombe sur du miel.

Œdipe

Lâche-moi

Le Sphinx

Et je parle, et je travaille, je dévide, je déroule, je calcule, je médite, je tresse, je vanne, je tricote, je natte, je croise, je passe, je repasse, je noue et dénoue et renoue, retenant les moindres nœuds qu’il me faudra te dénouer ensuite sous peine de mort ; et je serre, je desserre, je me trompe, je reviens sur mes pas, j’hésite, je corrige, enchevêtre, désenchevêtre, délace, entrelace, repars ; et j’ajuste, j’agglutine, je garrotte, je sangle, j’entrave, j’accumule, jusqu’à ce que tu te sentes, de la pointe des pieds à la racine des cheveux, vêtu de toutes les boucles d’un seul reptile dont la moindre respiration coupe la tienne et te rende pareil au bras inerte sur lequel un dormeur s’est endormi.

Oedipe

Laisse-moi! Grâce…Mérope !... Maman! Oh!  Madame…Oh! Madame! Oh! non! non! non! non! Madame!

Les Métamorphoses Option théâtre 2003-2004 Métamorphoses de la vie

 Je suis sale. Les poux me rongent. Les pourceaux, quand ils me regardent, vomissent. Les croûtes et les escarres de la lèpre ont écaillé ma peau couverte de pus jaunâtre. Je ne connais pas l’eau des fleuves ni la rosée des nuages. Sur ma nuque comme sur un fumier pousse un énorme champignon, aux pédoncules ombellifères. Assis sur un meuble informe, je n’ai pas bougé mes membres depuis quatre siècles. Mes pieds ont pris racine dans le sol et composent, jusqu’à mon ventre, une sorte de végétation, vivace remplie d’ignobles parasites, qui ne dérive pas encore de la plante, et qui n’est plus de la chair. Cependant mon cœur bat. Mais comment battrait-il, si la pourriture et les exhalaisons de mon cadavre (je n’ose pas dire corps) ne le nourrissaient abondamment ? Sous mon aisselle gauche, une famille de crapauds a pris résidence, et, quand l’un d’eux remue, il me fait des chatouilles. Prenez garde qu’il ne s’en échappe un, et ne vienne gratter, avec sa bouche, le dedans de votre oreille : il serait ensuite capable de rentrer dans votre cerveau. Sous mon aisselle droite, il y a un caméléon qui leur fait une chasse perpétuelle, afin de ne pas mourir de faim : il faut que chacun vive. Mais, quand un parti déjoue complètement les ruses de l’autre, ils ne trouvent rien de mieux que de ne pas se gêner, et sucent la graisse délicate qui couvre mes côtes…

 Lautréamont Les Chants de Maldoror Chant quatrième

Les Métamorphoses Option théâtre 2003-2004 L’amour comme métamorphose

 Ha ! je voudrais, richement jaunissant
En pluie d’or, goutte à goutte descendre
Dans le giron de ma belle Cassandre,
Lorsqu’en ses yeux le somme va glissant ;

 Puis je voudrais en taureau blanchissant
Me transformer pour finement la prendre,
Quand en avril par l’herbe la plus tendre
Elle va, fleur, mille fleurs ravissant.

 Ha ! je voudrais pour alléger ma peine
Être un narcisse, et elle une fontaine,
Pour m’y plonger une nuit à séjour ;

 Et si voudrais que cette nuit encore
Fût éternelle, et que jamais l’Aurore
D’un feu nouveau ne rallumât le jour.

 

Ronsard L’Amour de Cassandre

Option théâtre Les Métamorphoses : Métamorphoses de l’amour

 Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

Celui qui craint les eaux qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,
Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

 Pierre de Marbeuf

Option théâtre : Les Métamorphoses : La vie comme métamorphose

Monologue de Monsieur Diable
Henri Pichette Epiphanies

 A vingt ans, tu optes pour l’enthousiasme,
tu vois rouge,
tu ardes,
tu astres,
tu happes,
tu hampes,
tu décliques,
tu éclates,
tu ébouriffes,
tu bats en neige,
tu rues dans les brancards,
tu manifestes,
tu lampionnes,
tu arpentes la lune,
tu bois le lait bourru le vin nouveau l’alcool irradiant,
tu déjeunes à la branche,
tu pars à la découverte,
tu visites l’air les champs les ruines les métropoles les stades et les musées les jungles et les églises les arènes les volcans les chutes les fjords les oueds les lagunes les bayous les canyons les toundras les déserts les grandes salles des châteaux les jardins suspendus les pyramides les mégalithes les catacombes les cavernes ornées les blanches montagnes les théâtres étoilés la mer Océane,
tu bolides,
tu pagaies,
tu varappes,
tu dribbles,
tu crawles,
tu voles à voile,
tu hameçonnes les filles,
tu t’amouraches,
tu gamahuches,
tu renverses la vapeur,
tu déploies les couleurs,
tu dérides les bonzes, épouvantes les bigotes, scandalises les vieux birbes,
tu convoles un jour dans l’infanterie un jour vers les oiseaux-lyres les aigles-bugles les cygnes au cri de cuivre un jour avec les clartés furieuses les splendeurs d’ombre la nature,
tu idéalises,
tu ambitionnes,
tu adores,
tu détestes,
tu brilles…

 A quarante ans je te retrouve rongeant ton frein,
tu fondes sur la sympathie, il y a un cerne noir à toute chose,
tu déshabilles du regard,
tu convoites,
tu prémédites,
tu disposes tes chances,
tu te profiles,
tu places ton sourire tes phrases tes bouquets tes collets tes canapés,
tu estimes,
tu escomptes,
tu commerces,
tu carbures à prix d’argent,
tu te pousses dans les milieux,
tu médis du tiers et du quart ou fais du plat selon le rang,
tu arroses,
tu gobichonnes,
tu prends du ventre,
tu prends des mesures,
tu prends médecine,
tu te mets au vert,
tu récupères,
tu remets ça,
tu enrobes et lisses le cheveu,
tu ne veux pas avoir l’air,
tu opères comme en glissant,
tu serpentes,
tu attaques par le faible,
tu escarmouches à petits coups de Champagne,
tu endors les chagrins,
tu tamises les lampes,
tu officies sous le manteau de la nuit… mais se réveiller : la grisaille la routine les manigances les vacheries… comme tu voudrais un jeu neuf ! que s’il t’était donné, tu laverais les sons, ressourcerais les images, procéderais à la toilette des Muses des Grâces des bonnes fées, or tu débloques,
tu calcules,
tu cogites,
tu épilogues,
tu fais silence…

 A soixante ans tu dates,
tu radotes,
tu perds la main l’ouie tes dents, le cœur te faut, les jambes te flageolent,
tu tombes en faiblesse,
encore un peu et tu retombes dans une enfance touchée à mort…

 

Option théâtre : les métamorphoses : métamorphoses de la femme

D’après L’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam

 Lord Ewald et Edison, deux pantins. Une jatte d’eau sur laquelle flottent trois bougies.
Quatre Andréides. La quatrième est voilée.

 Andréide 1 : Une longue lame d’étoffe gommée, incrustée d’une multitude de verres exigus, se tend latéralement entre les deux tiges d’acier devant le foyer lumineux de la lampe astrale.

La 3e  allume la bougie.

Andréide 2 : Cette lame d’étoffe commence de glisser, très vivement, entre la lentille et le timbre d’un puissant réflecteur.

La 1re  allume la bougie.

Andréide 3 : Celui-ci, tout à coup, sur la grande toile blanche surmontée d’une rose d’or, réfracte l’apparition en sa taille humaine d’une très jolie et assez jeune femme rousse.

La 2e  allume la bougie.

La première dévoile la quatrième qui est masquée.

Andréide 2 : La vision danse, en costume pailleté, une sorte de danse mexicaine populaire.

Andréide 3 : Edison frappe d’une étincelle le centre de la rose d’or.

L’Andréide 4  se met à chanter un fandango

 

Edison : N’est-ce pas que c’est une ravissante enfant ?

Lord Ewald : Quelles hanches, quels beaux cheveux roux ! de l’or brûlé, vraiment !

Edison : Et ce teint si chaudement pâle ! Et ces longs yeux si singuliers !

Lord Ewald : Et ces fins sourcils d’or fauve, si bien arqués ! Ces narines si vives, palpitantes comme les ailes d’un papillon ! Ce corsage d’une si ferme plénitude que laisse deviner le satin qui craque ! Ces petits pieds si spirituellement cambrés !

Edison : C’est beau, la nature, malgré tout !

Lord Ewald : Plaisantez la nature si bon vous semble : cette jolie personne danse mieux, il est vrai qu’elle ne chante…

Edison : Ah ?...

 

Andréide 2 : Edison se dirige vers la tenture.

Andréide 3 : Il fait glisser la coulisse du cordon de la lampe.

Andréide 2 : L’image vivante disparaît.

L’Andréide 1 ôte le 2e voile de l’Andréide 4

Andréide 3 : Une seconde bande héliochromique se tend.

Andréide 1 : Le réflecteur envoie dans le cadre l’apparition d’un être exsangue, vaguement féminin.

L’Andréide 4  se met à danser et chante d’une voix avinée un couplet obscène.

 

Edison : Et… maintenant ?

Lord Ewald : Qu’est-ce que c’est que cette sorcière ?

Edison : Mais, c’est la même : seulement, c’est la vraie. C’est celle qu’il y avait sous la semblance de l’autre. Je vois que vous ne vous êtes jamais bien sérieusement rendu compte des progrès de l’Art de la toilette dans les temps modernes, mon cher lord ! N’est-ce pas que c’est beau la simple Nature !

Lord Ewald : Vous me certifiez, mon cher Edison, que ces deux visions ne reproduisent qu’une seule et même femme ?

Edison : Ah ! vous avez l’idéal vraiment enfoncé dans le cœur ! Eh bien, puisqu’il en est ainsi, je vais vous convaincre, cette fois ! Voyez !

 

L’Andréide 4 tend sa dépouille à Edison. La 3e récupère.

Andréide 2 : Edison secoue dans l’air une horrible queue de nattes postiches et déteintes.

Andréide 1 : Voici la chevelure ardente de l’Hérodiade, les lueurs de soleil dans le feuillage d’automne !

L’Andréide 4 tend  sa dépouille à Lord Ewald. La 3e récupère.

Andréide 2 : Lord Ewald aligne de vieux étuis débouchés de cosmétique.

Andréide 1 : Voici les teints de lis, les roses de la pudeur virginale !

L’Andréide 4  tend sa dépouille à Edison. La 2e récupère.

Andréide 1 : Edison montre des crayons bleus, des pinceaux à carmin.

Andréide 3 : Voici la grandeur calme et magnifique des yeux !

L’Andréide 4 tend sa dépouille à Lord Ewald. La 2e récupère.

Andréide 1 : Lord Ewald fait jouer les ressorts d’un dentier.

Andréide 3 : Voici les belles petites dents lumineuses, si enfantines et si fraîches !

L’Andréide 4 tend sa dépouille à Edison. La 1re récupère.

Andréide 2 : Edison agite des morceaux d’ouate grise.

Andréide 3 : Voici les beaux seins bondissants de la Néréide !

L’Andréide 4 tend sa dépouille à Lord Ewald. La 1re récupère.

Andréide 2 : Lord Ewald choque l’un contre l’autre des talons hauts.

Andréide 3 : Voici l’élancé de la démarche, la cambrure, la sveltesse d’un pied féminin !

 

Edison : Je pense, mon cher lord, que vous êtes édifié, maintenant.

Lord Ewald : On est loin de Daphnis et Chloé…

 

On leur verse de l’eau sur les doigts. Ils les essuient.

 

Andréide 3 : Edison tire une dernière fois les cordelettes des cercles photochromiques.

Andréide 2 : La vision disparaît.

L’Andréide 1 remet les voiles à la 4.

Andréide 1 : Lord Ewald se tait, profondément écoeuré  jusqu’à la mort et pensif.

Andréide 3 : Le chant cesse définitivement.

 

 

Les Métamorphoses Option théâtre 2003-2004 L’amour comme métamorphose

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je vis, je meurs: je me brûle et me noie,
J'ai chaud extrême en endurant froidure;
La vie m'est et trop molle et trop dure,
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure,
Mon bien s'en va, et à jamais il dure,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise LABÉ

 

Les Métamorphoses Option théâtre 2003-2004 Métamorphoses de l’amour

 

Elle joue avec des figurines.

 

La Morte et ses mains tristes

Arrive au paradis

 

D’où viens-tu ma fille,

Si pâle en plein midi ?

 

Je reviens de la terre

Où j’avais un pays,

 

De la saison nouvelle

Où j’avais un ami.

 

Il m’a donné trois roses

Mais jamais un épi.

 

Avant la fleur déclose

Avant le blé mûri,

 

Hier il m’a trahie.
J’en suis morte aujourd’hui.

 

Ne pleure plus, ma fille

Le temps en est fini.

 

Nous enverrons sur terre

Un ange en ton pays,

 

Quérir ton ami traître,

Le ramener ici.

 

N’en faites rien mon Père

La terre laissez-lui.

 

Sa belle y est plus belle

Que belle je ne suis,

 

Las ! et faudra, s’il pleure

Sans elle jour et nuit

 

Que de nouveau je meure

D’en avoir trop souci.

 

Marie Noël Chants d’Arrière-saison.

 

Chez moi

 

Chez moi, dit la petite fille

On élève un éléphant.

Le dimanche son œil brille

Quand papa le peint en blanc

 

Chez moi, dit le petit garçon

On élève une tortue.

Elle chante des chansons

En latin et en laitue.

 

Chez moi, dit la petite fille

Notre vaisselle est en or.

Quand on mange des lentilles

On croit manger un trésor.

 

Chez moi, dit le petit garçon

Nous avons une soupière

Qui vient tout droit de Soissons

Quand Clovis était notaire.

 

Chez moi, dit la petite fille

Ma grand-mère a cent mille ans.

Elle joue encore aux billes

Tout en se curant les dents.

 

Chez moi, dit le petit garçon

Mon grand-père a une barbe

Pleine pleine de pinsons

Qui empeste la rhubarbe.

 

Chez moi, dit la petite fille

Il y a trois cheminées

Et lorsque le feu pétille

On a chaud de trois côtés.

 

 

Chez moi, dit le petit garçon

Passe un train tous les minuits.

Au réveil mon caleçon

Est tout barbouillé de suie.

 

Chez moi, dit la petite fille

Le pape vient se confesser.

Il boit de la camomille

Une fois qu’on l’a fessé.

 

Chez moi, dit le petit garçon

Vit un Empereur chinois.

Il dort sur un paillasson

Aussi bien qu’un Iroquois.

 

Iroquois ! dit la petite fille

Tu veux te moquer de moi !

Si je trouve mon aiguille

Je vais te piquer le doigt !

 

Ce que c’est d’être une fille !

Répond le petit garçon.

Tu es bête comme une anguille

Bête comme un saucisson.

 

C’est moi qu’ai pris la Bastille

Quand t’étais dans les oignons.

Mais à une telle quille

Je n’en dirai pas plus long !

 

René de Obaldia Les Richesses naturelles